Pierre-Louis Loubet : “Pour 2020 l’objectif est d’avoir un programme sérieux”
Une semaine après l’obtention de son titre de champion du monde dans la catégorie WRC-2, l’équipe de Rallyecorse a pu interviewer Pierre-Louis Loubet. Il est revenu avec nous sur sa saison 2019, et évoque son avenir.
Bonjour Pierre-Louis ; tout d’abord félicitations pour ce titre de champion du monde.
Quel a été ton premier sentiment ?
« Le premier sentiment était un peu bizarre, parce que je l’ai appris dans une situation particulière. Forcément on ne pouvait pas non plus éclater de joie, parce que c’était très compliqué ce qu’il se passait sur place, mais franchement on était content. On a réalisé quelques jours après, quand la situation s’est améliorée, et on a pu apprécier le résultat. »
Revenons ensemble sur ta saison 2019. Après trois saisons un peu galères tu décides de rejoindre l’équipe 2C Compétition au volant de la Skoda Fabia. Avec la séparation des Pro des autres pilotes pour le classement de la catégorie, était-ce pour toi la saison où jamais pour t’imposer ?
« Je ne me suis pas trop posé la question ; il peut se passer beaucoup de choses durant une saison, donc on voulait y aller rallye après rallye. Je ne me suis pas dit que cette année il fallait faire de telle ou telle manière, même si on savait que cette année il fallait concrétiser des résultats. »
Tu débutes ta saison aux Açores (en Championnat d’Europe) par un abandon alors que tu étais 4e, puis tu enchaines en WRC-2 à domicile avec un Tour de Corse compliqué où tu découvrais encore la voiture. Que se dit-on à ce moment-là ? On broie du noir, ou l’on se dit que la saison est encore longue ?
« Sur le coup j’ai été déçu, mais je me suis dit qu’il ne fallait pas que je lâche, et que ça allait le faire. »
Après une 5e place aux Canaries, pour ta seconde manche en ERC, arrive la délivrance au Portugal, où tu remportes enfin ta première victoire en WRC-2. Est-ce que cette victoire t’a libéré d’un poids ?
« Ça a fait du bien de pouvoir gagner, ce qui m’a beaucoup aidé pour la suite. J’ai montré que j’étais capable de m’imposer, et c’est ça que je retiens. »
En Sardaigne, malgré une crevaison et des soucis de différentiel, tu réalises un rallye solide en remportant une seconde victoire consécutive. Est-ce que pour toi ce rallye a été un déclic, ou était-ce la confirmation du travail accompli ?
« La victoire au Portugal m’a permis d’arriver dans de super dispositions, et de pouvoir enchainer. Le feeling a été tout de suite bon, et les choses se sont alignées comme il faut, mais pour moi il n’y a pas eut véritablement de déclic à proprement parlé. J’ai toujours su ce que j’avais à faire. »
Lorsque tu arrives en Finlande, et après ces deux victoires coup sur coup, est-ce que le regard de tes adversaires à changé ?
« En wrc-2 on se connait tous, mais je pense qu’ils ont dû plus me compter parmi les favoris. Il faudrait leur poser la question. »
Sur un rallye que tu apprécies, tu domines tes adversaires… avant de commettre une erreur et de sortir de la route. Etait-ce un excès de confiance, ou une note mal comprise ?
« J’ai mal compris une note, c’est aussi simple que ça. »
Malgré cela, et avec l’aide des finlandais, tu arrives à repartir, et termines 4e. Comment se sent-on après ça ? En colère d’avoir laissé passer une victoire qui te tendait les bras, ou soulagé d’avoir pu sauver de gros points ?
« Les deux ; j’étais content de m’être sorti de cette situation, mais forcément on a des regrets, parce que la victoire aurait été belle. »
Cette sortie a des conséquences, puisque tu ne t’engages finalement pas en Allemagne, alors que c’était un rallye initialement prévu à ton programme. Y avait-il péril pour la suite de ta saison ?
« Non, ce forfait était pour des raisons techniques, car la voiture avait subit trop de dégâts. »
Tu reviens finalement au rallye de Grande-Bretagne, où là encore tu prends la tête de la catégorie, face notamment à Petter Solberg. Une crevaison va lui permettre de revenir sur toi. T’es-tu dit de suite qu’il valait mieux assurer la seconde place dans l’optique du championnat, ou est-ce que tu voulais malgré tout jouer la gagne ?
« C’est compliqué avec les pilotes qui font des one-shot , je ne pouvais pas me permettre de prendre tous les risques et de tout perdre, donc j’ai préféré assurer. »
Après ce rallye tu prends la tête du championnat. Est-ce à ce moment-là que le déplacement en Australie a été décidé, ou est-ce que la décision avait été prise plus tôt ?
« Le déplacement en Australie a été envisagé après notre forfait en Allemagne. »
L’Espagne est le seul rallye mixte de la saison. On sait que tu es plus à l’aise sur la terre que sur l’asphalte. Etais-tu impatient d’aborder ce rallye, ou craignais-tu justement l’asphalte espagnol ?
« Je suis parti assez confiant, d’autant que les essais sur asphalte c’étaient bien passés. »
Comme sur les rallyes précédents cette saison, sur la terre de la première étape, tu arrives rapidement à te porter en tête de la catégorie, devançant d’une courte tête Eric Camilli au soir de la première étape. Sur l’asphalte une crevaison t’empêche de continuer à te battre pour la gagne ; la stratégie était-elle la même qu’au Wales ? Le championnat avant tout ?
« Avec la crevaison nous avons dû effectuer les spéciales du samedi après-midi sans roue de secours, et donc on ne pouvait pas faire n’importe quoi. Si on crevait à nouveau cela signifiait un abandon, et ce n’était pas envisageable, donc on a un peu assuré. Comme Solberg en Grande-Bretagne, Camilli était là pour un one-shot, alors que moi j’étais là pour le championnat. »
Le Dimanche tu es 2e de la catégorie… lorsque tu tires tout droit et endommages le différentiel de ta voiture. Que s’est-il passé, et as-tu craint de devoir abandonner ?
« Je me fais surprendre dans un gauche qui refermait plus que ce que je pensais. Forcément on craint l’abandon, mais on a rien lâché, et on a pu terminer. »
Tu arrives tant bien que mal à terminer 5e de la catégorie, en minimisant la perte de points sur Kajetanowicz (dont c’était le dernier résultat autorisé), et en augmentant ton avance sur Guerra (abandon). Est-ce que tu te dis à ce moment-là que le titre est joué ?
« Non, parce que si j’abandonnais en Australie c’était terminé. Donc je restais prudent car il restait encore un rallye difficile, et même en le faisant sur la défensive on est à l’abri de rien. »
Quelques jours après l’arrivée de ce rallye, tu t’envoles pour découvrir le rallye du Condroz, dans des conditions météo plus que délicates. Que retiens-tu de ce rallye asphalte où il y avait beaucoup de boue, et de coulées d’eau ?
« C’était la galère, mais c’était génial, une super expérience pour la suite, avec des gens vraiment passionnés. C’était agréable de faire un rallye sans pression. A refaire. »
Pendant que tu es sur ce rallye, Andolfi et Bulacia déclarent forfait pour l’Australie. Il ne te suffisait donc plus que de ramener la voiture à l’arrivée pour être titré. Comment envisageais-tu cela ?
« On se dit que l’on n’a pas le droit à l’erreur, mais je me disais que je le ferai au feeling et qu’il n’y avait pas de raisons que cela ne fonctionne pas. »
Avec les terribles incendies en Nouvelle-Galles du Sud les organisateurs décident finalement d’annuler le rallye. Peux-tu nous raconter comment c’était sur place ?
« C’était triste, car c’est vraiment un drame qui avait lieu là-bas, et nous on ne pouvait rien faire. Cela aurait été irresponsable de faire venir des pompiers et des policiers pour la sécurité sur un rallye, alors qu’à côté il y avait des forêts et des maisons en feu. Le rallye reste un divertissement, donc ce qu’il se passait était plus important. »
Avec un patronyme comme le tien, et avec la carrière qu’a connu ton père, est-ce enfin l’occasion pour toi de t’affirmer comme Pierre-Louis, et non plus « le fils de Yves », ou est-ce que cela n’a jamais été une pression pour toi ?
« Cela ne me dérange pas que l’on me dise que je suis le fils de Yves, parce que mon père a fait des super choses, mais ça ne m’a jamais mis de pression. Pour moi ça reste mon père, donc ce que disent les gens je m’en fiche. »
Ton père a toujours été présent à tes côtés depuis tes débuts ; ce titre c’est aussi une manière de le remercier, lui qui remportait il y a tout juste trente ans son titre de Champion d’Europe ?
« Bien sûr, je le remercie souvent, mon père m’aide énormément, et sans lui ça aurait été compliqué d’en arriver là. C’est génial que lui et moi on ait pu être tout les deux champion à des époques différentes. »
Deux autres personnes importantes dans ta carrière se sont Vincent Landais, ton copilote depuis la mi-saison 2015, et Nicolas Bernardi, chez qui tu as fais tes gammes avant 2015, et qui est devenu par la suite entraineur national FFSA. Peux-tu nous parler de ta relation avec eux, et ce qu’ils t’apportent ?
« Vincent est un énorme soutien, et il fait un énorme boulot. Sans lui cela aurait été compliqué ; l’entente avec un copilote est importante. Je suis content qu’après les moments difficiles on puisse ramener ce titre ensemble.
Nicolas est derrière moi depuis longtemps, on s’est souvent au téléphone, il me conseille, et ça c’est génial. Il est arrivé à la FFSA quand moi je débutais ma carrière, donc c’est le hasard qui nous a fait nous recroiser. »
Depuis le second titre de Champion de France de Patrick Bernardini en 1995, aucun pilote corse n’avait ramené de titre de cette envergure sur l’île (des copilotes insulaires ont brillé, notamment en R-GT en 2015). Est-ce une fierté pour toi ?
« Franchement c’est top, surtout qu’il n’y avait pas de champion du monde. »
Maintenant que tu as ce titre, quels sont les projets pour 2020 ? Des discussions sont-elles en cours avec des team ?
« Il y a des rendez-vous importants qui vont arriver, et j’espère que quelque chose de solide sera validé, mais ça va sans doute se décider plus tard, juste avant le Monte-Carlo. Pour le moment il n’y a rien d’assez sérieux pour que je puisse annoncer quoi que ce soit. L’objectif est d’avoir un programme sérieux qui me permette de rouler. »
Merci à toi pour cette interview, et on ne peut que te souhaiter le meilleur pour la suite.