Il y a 100 ans… le Circuit automobile de la Corse !
Il y a exactement cent ans aujourd’hui, le 21 Avril 1921, avait lieu le Circuit automobile de la Corse, première course automobile d’envergure sur l’île.
Revenons brièvement sur les premières heures de l’automobile en Corse jusqu’à cette course qui restera presque sans lendemain.
L’arrivée de l’automobile en Corse
Jusqu’au début du 20e siècle, les trajets en Corse se font uniquement en train, ou en “voitures hippomobiles”, comprenez par là en traction animale.
Le premier changement va intervenir en 1901, avec l’arrivée de l’automobile à vapeur, via une expérimentation sur la ligne Ajaccio – Sartène pour le transport de courrier (en appui du transport ferroviaire).
L’automobile postale va ainsi permettre à nombre d’insulaires de découvrir ces machines, puisqu’il s’agissait de véhicules comprenant environ une vingtaine de places. Les véhicules particuliers étaient très rares jusqu’en 1910 sur l’île, la Corse était d’ailleurs la région française la moins équipée. En 1902 on verra arriver la première automobile à pétrole, sur la ligne Vico-Ajaccio-Sartène.
A partir de 1908 le tourisme se développe sur le sol insulaire, même si l’île est considérée comme une destination exotique, au même titre que les colonies. Notons tout de même que les « pionniers du tourisme motorisé » ont commencé à arriver trois ans plus tôt, en 1905, avec l’organisation d’excursions de groupe de particuliers.
Les récits du belge Henri Boland vont grandement participer à l’accélération du tourisme automobile. En 1910, dans “La Corse et l’automobile” (Editions Hachette) il dira ainsi “Il y a plusieurs moyens de visiter la Corse, mais c’est en voiture qu’il faut voir l’île en détail […]. La Corse est un Eden, une terre prédestinée pour les chauffeurs, dont elle ne va pas tarder à devenir l’un des rendez-vous de prédilection”.
En 1913 le parc de location d’automobiles s’agrandit, et il sera dorénavant possible d’acheter directement sur l’île des automobiles d’occasion (alors qu’il fallait les faire venir de l’hexagone ou d’Italie auparavant).
La Première Guerre Mondiale va jouer un rôle important sur la présence automobile en Corse. Avec l’armée le nombre de titulaires d’un certificat de capacité (ancêtre du permis de conduire) va augmenter. A cela il faut ajouter qu’une fois la guerre terminée, une quantité de matériel (pièces ou automobiles) va rester sur place.
Même si les insulaires s’habituent aux automobiles, il n’en reste pas moins que la circulation reste très limitée.
C’est en 1919, sur l’initiative de Don Paul Beretti, que l’impulsion vers une course automobile d’envergure est donnée. Le but étant d’attirer des touristes internationaux. Il faut dire qu’au niveau national, et international, de nombreuses courses automobiles existaient déjà.
Nous pouvons citer par exemple Paris-Rouen en 1894, Paris-Berlin en 1901, Paris-Madrid et la Coupe Gordon Benett en 1903, la Targa Florio en 1906, ou encore le Monte-Carlo en 1911. L’origine d’un circuit à parcourir plusieurs fois vient elle de l’Automobile Club de Belgique en 1902 ; ce modèle est d’ailleurs privilégié sur la majorité des courses dès 1920. Au début les courses se déroulaient sur routes ouvertes, mais suite aux accidents que cela provoquait elles eurent lieu par la suite sur routes fermées, ou circuits fermés.
L’Automobile Club de Corse (présidé par Noël Pinelli) voit le jour en Janvier 1921 ; deux mois plus tard Michelin édite sa première carte de la Corse, avec le fameux n°90.
La course, prévue en Avril, se place avant les grands rendez-vous européens et américains, mais également avant les commémorations du 5 Mai prévues pour le centenaire de la disparition de Napoléon. Certaines agences de presse (notamment Meurisse) envoyèrent ainsi sur l’île des photographes pour couvrir à la fois le Grand Prix de Corse, mais également les festivités napoléoniennes.
Le Circuit Automobile de la Corse
Le circuit partait de Casamozza, montait jusqu’à Corte, avant de redescendre sur Cateraggio, et de revenir sur Casamozza.
Ce circuit faisait 147,3 km, et était à parcourir à trois reprises, pour un total de 441,9 km !
Programme :
Lundi 18 Avril : Vérification techniques (pesage, etc…)
Mardi 19 Avril : Epreuves éliminatoires sur 5 km, entre Cateraggio et Prunete. Moyenne obligatoire : 100 km/h.
Jeudi 21 Avril : Grand Prix de la Corse ; 3 tours de circuit, avec départ et arrivée à Casamozza. Début à 8h30, et fin à 16h00.
Voici la liste des partants, qui étaient répartis dans différentes catégories :
- Henri Rougier (Turcat-Mery)
- François Respusseau (Turcat-Mery)
- Albert Guyot (Bignan Sport)
- André Lagache (Chenard et Walcker)
- Pierre Delaunay (Bignan Sport)
- Michel Nougué (Bignan Sport)
- Antoine D’Avaray (Turcat-Mery)
- Benoist DeBarry (Turcat-Mery)
- Louis Inghilbert (Bignan Sport)
- Christian d’Auvergne (Chenard et Walcker)
- Maurice Rouvier (Chenard et Walcker)
A noter que suite à un accident lors des reconnaissances, Joseph Sadi-Lecointe (Rolland-Pilain) n’a pas pu prendre le départ, son auto étant hors service.
Sur les 18 pilotes initialement engagés, ils ne furent que 11 à prendre finalement le départ.
Le premier concurrent à partir fut Benoist DeBarry à 8h30, les suivants partirent ensuite de 5 mn en 5 mn.
A l’issue de la première boucle, Albert Guyot était en tête avec un temps de 2h02’14. Il devançait Michel Nogué (2h04’24), André Lagache (2h07’27), Henri Rougier (2h07’46), Benoist DeBarry (2h10’14), Christian d’Auvergne (2h11’10), François Repusseau (2h13’16), Antoine D’Avaray (2h13’43), et Maurice Rouvier (2h30’2).
Après la seconde boucle, Guyot gardait la cadence, en 4h10’19. D’Auvergne était le nouveau second (4h21’8), devant DeBarry (4h22’21), Lagache (4h24’53), Repusseau (4h18’42), Rougier (4h34’48), et D’Avaray.
Lors de ce second tour, Nougué, alors deuxième, et Rouvier abandonnent.
Au terme du troisième et dernier tour, Albert Guyot confirmait sa main mise sur l’épreuve, et s’imposa dans un temps de 6h07’51, avec une moyenne de 72 km/h. Le dernier tour fut réalisé en 1h57’32, soit une moyenne de 75 km/h.
Il devance pour le podium Henri Rougier (6h42’3), et François Repusseau (6h46’40).
Suivent ensuite Christian d’Auvergne (6h52’23), Benoist DeBarry (6h54’7), et Antoine D’Avaray (7h11’10). André Lagache a lui abandonné durant cet ultime tour.
De son côté Louis Inghilbert n’a effectué qu’un seul tour, mais il n’était pas dans la même catégorie. Il a néanmoins terminé dans les délais impartis.
La course fut malheureusement endeuillée par la sortie de route tragique de Pierre Delaunay lors du premier tour. A quelques kilomètres après Corte, il effectua une embardée qui lui fut fatale.
Si les routes utilisées à l’époque étaient des Routes Nationales, il est à rappeler qu’elles étaient encore en terre. Les premières routes goudronnées de l’île ne le furent qu’à partir de 1923.
Les routes étaient la RN193 (Ajaccio-Bastia), la RN200 (Corte-Cateraggio), et la RN198 (Bonifacio-Bastia) ; elles sont devenues depuis des Routes Territoriales, avec comme numérotation la RT20, la RT50, et la RT10.
Le réseau routier a depuis énormément évolué ; ce qui était un périple automobile à l’époque, est devenu un trajet utilisé au quotidien par tous les automobilistes, avec une route plus lissée et plus confortable.
Voici quelques comparatifs de passages du Circuit en 1921 et en 2021.
Les ponts de Ponte Novu et de Casamozza, qui furent bombardés lors de la seconde guerre mondiale, ne sont plus utilisables (deux autres ponts ayant été construits plus loin) ; le passage du col de San Quilico a très fortement évolué, avec depuis un tunnel sous le col ; le virage de Corte, qui était l’un des passages spectaculaires du tracé, s’est transformé en un rond point, etc…
Ces exemples montrent ainsi qu’il ne reste aujourd’hui que très peu de traces visibles de cette course sur la route, excepté la stèle qui fut érigée en 1922 à la mémoire de Pierre Delaunay (une stèle où aura lieu une commémoration aujourd’hui).
Cette course n’aura qu’une seule et unique édition ! Pour autant ce fut un embryon pour la suite, puisque 35 ans plus tard, en 1956, se déroulait le 1er Tour de Corse Automobile. Les voitures et les routes avaient déjà bien changé, tout comme le format, mais la passion était la même, et aussi la volonté de faire la promotion de la Corse.
Si dans la mémoire collective c’est le Tour de Corse qui est resté le plus ancré de par sa longévité, il n’en reste pas moins que le Circuit de Corse ne fut pas oublié de tous, comme nous pouvons le voir à travers quelques exemples : en introduction du livre de Maurice Louche (relatant les trente premières éditions du Tour de Corse) en 1989, une affiche éditée à l’occasion du Tour de Corse 1991, un encart dans “La Corse votre hebdo” en 2007, des objets dans le catalogue de l’exposition “Les sports en Corse, miroir d’une société” du Musée de la Corse en 2012, ou encore le livre “L’automobile à la conquête de la Corse” de Didier Rey en 2017. Aujourd’hui, Corse Matin fait également sa Une sur cette course des pionniers, y consacrant plusieurs pages.
Sur internet plusieurs sites permettent aussi de revivre cette couse, notamment celui de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), avec des photos des agences Meurisse et Roll (une partie sont présentes dans cet article), mais aussi les versions numériques des journaux de 1921.